vendredi 7 décembre 2012


"La facture de l'EPR devrait encore 

augmenter d'ici à 2016"


L'annonce par EDF, lundi 3 décembre, d'un nouveau surcoût de 2 milliards d'euros pour la construction de l'EPR de Flamanville (Manche), portant la facture de ce projet de réacteur nucléaire de troisième génération à 8,5 milliards, a ravivé le débat entre pro et anti-nucléaires.

Bernard Laponche, physicien et polytechnicien, qui a participé à l'élaboration des premières centrales nucléaires françaises en tant qu'ingénieur au Commissariat à l'énergie atomique, avant de dénoncer les dangers de l'atome, déplore un "véritable gouffre financier" et plaide pour la réintégration des "véritables coûts du nucléaire" dans le tarif de l'électricité.

Comment réagissez-vous au nouveau surcoût du chantier de l'EPR de Flamanville ?
Bernard Laponche : L'EPR est un véritable gouffre financier. C'est un chantier mal mené, dont la construction présente de nombreuses défaillances – inadmissibles pour un ouvrage d'une telle ampleur et potentiellement dangereux – qui conduisent à une réévaluation régulière des coûts.

Et la facture devrait encore augmenter d'ici à 2016 [date prévue de mise en service]. L'Autorité de sûreté nucléaire continue en effet d'adresser des demandes à EDF, pour améliorer ou réparer des éléments de la construction. Surtout, le prix du chantier a presque triplé par rapport à l'estimation initiale [3,3 milliards d'euros en 2005] alors qu'EDF n'a pas encore entamé la partie sensible, à savoir les installations nucléaires. On devrait donc arrêter les frais aujourd'hui.

 

Cette augmentation des coûts est-elle symptomatique de la filière nucléaire française ?
Au fur et à mesure des années, le coût des centrales nucléaires a en effet explosé. C'est à la fois lié aux coûts de construction qui augmentent avec la puissance des réacteurs (on est passés de 300 MW pour le premier réacteur à eau pressurisée à 1 650 MW avec l'EPR) et aux structures plus complexes du point de vue de la sûreté. L'argument de l'effet de taille n'a au final pas joué. Les frais de maintenance sont aussi en hausse, sous l'effet des exigences de l'Autorité de sûreté nucléaire.

Mais surtout, l'ensemble des coûts du nucléaire ne sont pas correctement pris en compte dans le financement de la filière. La recherche, en amont et en aval de la construction, n'est pas intégrée dans le prix du kilowattheure mais dans le budget de l'Etat. De la même façon, la question du démantèlement des centrales et du stockage des déchets n'est pas prise en compte. En janvier, la Cour des comptes a respectivement chiffré ces dépenses à 18,4 milliards et 28,4 milliards d'euros, tout en précisant la probabilité d'une augmentation future de ces charges. Ce sont des dettes pour les générations futures.

Enfin, il reste la question des assurances, qui se pose à partir du moment où l'on admet qu'un accident nucléaire est possible. La Cour des comptes a chiffré entre 70 à 100 milliards d'euros le coût d'un accident de l'ordre de celui de Three Miles Island aux Etats-Unis, classé au niveau 5 de l'échelle internationale des événements nucléaires, et entre 500 et 1 000 milliards d'euros celui d'un accident du niveau de Tchernobyl et Fukushima, classés au niveau 7. C'est colossal, car environ trois fois plus important que les coûts dépensés par l'ensemble de la filière électronucléaire entre 1945 et 2000 (188 milliards d'euros). Si l'Etat constituait des provisions pour s'assurer contre un accident nucléaire important, les coûts du nucléaire ne seraient plus supportables.

Quel serait le prix de l'électricité d'origine nucléaire si on intégrait ces coûts ?
On ne peut pas le chiffrer car on ne connaît pas encore l'ensemble des investissements nécessaires, le véritable coût du démantèlement des centrales et du stockage des déchets, ou encore le prix de l'uranium d'ici à quelques années. Mais en intégrant seulement l'évolution des coûts d'entretien et de mise aux normes des installations, la Cour des comptes estime que le mégawattheure (MWh), autour de 50 euros aujourd'hui, devrait augmenter d'environ 10 %.
Cette hausse est bien plus forte en ce qui concerne l'EPR : le réacteur, qui devait fournir une électricité à 46 euros par MWh à l'origine, avait déjà vu ce tarif être augmenté à 70 à 90 euros lorsque la facture du chantier avait été doublée à 6 milliards d'euros en 2009. Aujourd'hui, avec une construction chiffrée à 8,5 milliards d'euros, on se situe plutôt dans une fourchette de 100 à 120 euros le MWh et ce chiffre pourrait encore augmenter. Si ces coûts ne sont pas compensés par les autres centrales déjà amorties, ou par la construction d'autres EPR, ce qui est pour l'instant très peu probable, EDF pourrait alors être obligée d'augmenter les tarifs de l'électricité afin d'éviter de vendre à perte – alors qu'elle cède une partie de son électricité à ses rivaux à 42 euros le MWh.
Des tarifs plus élevés peuvent-ils favoriser le développement des énergies renouvelables ?
Des prix plus élevés vont effectivement laisser plus de place aux énergies renouvelables. Les courbes du coût du nucléaire et de l'éolien ou du solaire sont en effet en train de se croiser. Aujourd'hui, l'éolien terrestre est le plus compétitif : il est racheté 82 euros le MWh.
Surtout, des nouveaux tarifs donneraient un signal au consommateur pour l'inciterà effectuer des économies d'énergie, et forcerait le gouvernement à accélérer les programmes de rénovation thermique des logements et de remplacement du chauffage électrique. Il faut arrêter de faire croire aux Français que l'électricité est peu chère, car c'est faux.

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